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t-w-i-l-i-g-h-t
26 avril 2011

Chapitre 2. A livre ouvert (part.1)

    Je m’adossai contre le talus légèrement enneigé, laissant la poudreuse sèche se tasser sous mon poids. Ma peau s’était refroidie jusqu’à atteindre la température de l’air ambiant, et les petits morceaux de glace semblaient être du velours sur ma peau.
    Le ciel au-dessus de moi était clair, scintillant d’étoiles, d’un bleu éblouissant à certains endroits, et jaunes à d’autres. Les étoiles créaient de majestueuses formes tourbillonnant dans l’univers sombre – une vue magnifique. Délicieusement belle. Ou plutôt, cela aurait dû l’être. Ça l’aurait été si j’avais pu la voir réellement.
    Ça n’allait pas en s’arrangeant. Six jours avaient passé, six jours que je me cachais ici, dans l’étendue sauvage et vide de Denali, mais je n’étais plus libre depuis le moment où j’avais senti son odeur pour la première fois.
    Quand je regardais le ciel scintillant, c’était comme s'il y avait une obstruction entre mes yeux et sa beauté. Cette obstruction était un visage, un visage humain ordinaire, mais je ne semblais pas pouvoir le bannir de mon esprit.
    J’entendis les pensées se rapprocher avant d’entendre les bruits de pas qui les accompagnaient. Le bruit du mouvement était seulement un vague murmure contre la poudreuse.
    Je n’étais pas surpris que Tanya m’ait suivi ici. Je savais qu’elle tournait et retournait cette conversation dans sa tête depuis quelques jours, repoussant l’échéance jusqu’à ce qu’elle soit sûre de ce qu’elle voulait dire.
    Elle apparut à environ cinquante mètres, bondissant au sommet d’un rocher noir, se balançant sur la pointe de ses pieds nus.
    La peau de Tanya était argentée sous les étoiles, et ses longues boucles blondes pâles luisaient, presque roses avec une teinte framboise. Ses yeux ambres brillaient tandis qu’elle m'espionnait, à moitié ensevelie sous la neige, et ses lèvres s'étirèrent lentement en un sourire.
    Exquise. Si j’avais été capable de vraiment la voir. Je soupirai.
    Elle s'accroupit sur le sommet du rocher, le bout de ses doigts touchant la pierre, son corps tendu comme un ressort.
    Boulet de canon, pensa-t-elle.
    Elle décolla en l’air, et sa silhouette devint noire, une ombre tordue tandis qu’elle descendait gracieusement en vrille entre les étoiles et moi. Elle se roula en boule juste  au moment de frapper le tas de neige à mon côté.
    Une tempête de neige s’envola autour de moi. Les étoiles virèrent au noir, et je fus enterré profondément sous les cristaux de glace légers comme des plumes.
    Je soupirai de nouveau, mais je ne bougeai pas pour me dégager. La noirceur sous la neige n’améliora pas ma vue, mais ne me blessa pas non plus. Je voyais toujours le visage.
    - Edward ?
    La neige voleta de nouveau quand Tanya me dégagea vivement. Elle enleva la neige de mon visage impassible, sans rencontrer mon regard.
    - Désolée, murmura-t-elle. C’était une blague.
    - Je sais. C’était drôle.

    Sa bouche se tordit en une moue.
    - Irina et Kate disent que je devrais te laisser seul. Elles pensent que je t'ennuie.    
    - Pas du tout
, lui assurai-je. Au contraire, c’est moi qui suis impoli – abominablement impoli. Je suis vraiment désolé.
    Tu rentres, n’est ce pas ? pensa-t-elle.
    - Je n’ai pas encore... complètement... décidé.
    Mais tu ne restes pas ici. Ses pensées étaient mélancoliques à présent, tristes.
    - Non. Ça n’a pas l’air de... m’aider.
    Elle grimaça.
    - C’est de ma faute, n’est ce pas ?
    - Bien sûr que non,
mentis-je.
    Ne fais pas le gentleman.
    Je souris.
    Je te mets mal à l’aise, m’accusa-t-elle.
    - Non.
    Elle leva un sourcil, son expression était si incrédule que je dus en rire. Un rire très court suivit d’un nouveau soupir.
    - Très bien, admis-je. Un petit peu.
    Elle soupira elle aussi, et mit son menton dans ses paumes. Ses pensées étaient tristes.
    - Tu es cent fois plus ravissante que ces étoiles, Tanya. Bien sûr, tu sais déjà tout ça. Ne laisse pas mon obstination saper ta confiance en toi. 
    Je gloussai à l’improbabilité de mes paroles.
    - Je ne suis pas habituée à être rejetée, ronchonna-t-elle, sa lèvre inférieure formant une moue séduisante.
    - Certainement pas, acquiesçai-je, essayant sans grand succès de refouler ses pensées tandis qu’elle fouillait rapidement dans ses souvenirs pour trouver des centaines de conquêtes.
    La plupart du temps, Tanya préférait les hommes humains – premièrement, ils étaient bien plus nombreux, et s’ajoutait l’avantage d’être doux et chaud. Et bien sûr, toujours désireux.
    - Succube, me moquai-je, espérant interrompre ces images vacillantes dans son esprit.
    Elle grimaça, dévoilant ses dents.
     - L’originelle.
    Contrairement à Carlisle, Tanya et ses sœurs avaient développé leur conscience doucement. A la fin, c’était leur penchant pour les hommes humains qui détournèrent les sœurs du massacre. Désormais les hommes qu’elles aimaient... vivaient.
    - Quand tu es arrivé ici, dit lentement Tanya, je pensais que...
    Je savais ce qu’elle avait pensé. Et j’aurais dû deviner qu’elle ressentirait cela. Mais je n’étais pas au mieux de ma forme pour entamer une réflexion analytique en ce moment.
    - Tu pensais que j’avais changé d’avis.
    - Oui,
dit-elle, la mine renfrognée.
    - Je me sens très mal de jouer ainsi avec tes attentes Tanya. Je ne voulais pas – je ne pensais pas. C’est juste que je suis parti... précipitamment.
    - Je suppose que tu ne me diras pas pourquoi... ?

    Je m'assis et entourais mes bras autour de mes jambes, me blottissant en signe de défense.
    - Je ne veux pas en parler.
    Tanya, Irina et Kate étaient très douées pour cette vie à laquelle je m’étais dévoué. Meilleures, par certains aspects, que Carlisle lui-même. Malgré la proximité extrême qu’elles s’octroyaient avec ceux qui auraient dû être – et avaient été à un moment – leurs proies, elles ne faisaient aucune erreur. J’étais trop honteux pour admettre ma faiblesse devant Tanya.
    - Des problèmes avec les femmes ? devina-t-elle, ignorant ma réticence.
    Je ris d’un rire maussade.
    - Pas de la façon dont tu parles.
    Alors elle se tut. J’écoutais ses pensées tandis qu’elle étudiait différentes possibilités, essayant de décoder le sens de mes paroles.
    - Tu n’y es pas du tout, lui dis-je.
    - Un indice ?
    - S’il te plaît Tanya, laisse tomber.

    Elle se tut de nouveau, toujours spéculative. Je l’ignorai, essayant en vain d’apprécier les étoiles.
    Elle abandonna après un moment, et ses pensées partirent dans une nouvelle direction.
    Où iras-tu, si tu t’en vas ? Chez Carlisle ?
    - Je ne crois pas, murmurai-je.
    Où irais-je? Je ne pouvais pas penser à un seul endroit sur Terre qui présentât un quelconque intérêt pour moi. Il n’y avait rien que j’avais envie de voir ou de faire. Parce que, peu importe ou j’irais, je n’irais jamais vers un endroit – je m’échapperais simplement d’un autre.
    Je détestais cela. Quand étais-je devenu si lâche?
    Tanya enroula ses bras minces autour de mes épaules. Je me raidis, mais ne reculai pas à son contact. Cela n’était rien d’autre qu’un geste amical. Ou presque.
    - Je pense que tu vas rentrer, dit-elle, sa voix reprenant son léger accent russe. Peu importe ce qui... ou qui... qui te hante. Tu va y faire face. C’est bien ton genre.
    Ses pensées étaient aussi assurées que ses mots. J’essayai d’adopter la vision de moi qu’elle se représentait dans sa tête. Celui qui faisait face. Il était plaisant de penser cela de moi-même. Je n’avais jamais douté de mon courage, de ma capacité à faire face aux difficultés, avant cette horrible heure en classe de biologie, il n'y a pas si longtemps.
    J’embrassai sa joue, me retirant promptement lorsqu’elle tourna son visage vers le mien, ses lèvres déjà plissées. Elle sourit d’un air piteux devant ma rapidité.
    - Merci Tanya. J’avais besoin d’entendre tout ça.
    Ses pensées devinrent arrogantes. De rien, j’imagine. J’aimerais que tu sois plus raisonnable sur certains sujets, Edward.
    - Je suis désolé, Tanya. Tu sais que tu es trop bien pour moi. C’est juste... que je n’ai pas encore trouvé ce que je cherche.
    - Eh bien, si tu pars avant que je ne te revoie... au revoir, Edward.
    - Au revoir, Tanya.

    Alors que je disais ces mots, je pouvais le voir. Je pouvais me voir partir. Être assez fort pour retourner au seul endroit où je voulais être.
    - Merci encore.
    Elle fut sur ses pieds en un mouvement agile, puis elle s’échappa, se faufilant à travers la neige si rapidement que ses pieds n’avaient pas le temps de s’enfoncer dedans ; elle ne laissa aucune trace derrière elle. Elle ne regarda pas en arrière. Mon rejet l’avait plus affectée qu’elle ne le laissait croire, même dans ses pensées. Elle ne voudrait pas me voir avant que je ne parte.
    Ma bouche se tordit de chagrin. Je n’aimais pas avoir blessé Tanya, même si ses sentiments n’étaient pas profonds, purs, et en aucun cas, quelque chose que je puisse lui rendre. Cela me faisait me sentir moins qu’un gentleman.
    Je mis mon menton sur mes genoux, et commençai à regarder les étoiles de nouveau, même si je me sentais soudainement pressé de partir. Je savais qu’Alice me verrait revenir à la maison, qu’elle le dirait aux autres. Cela les rendrait heureux – surtout Carlisle et Esmé. Mais je fixai les étoiles pendant un moment, essayant de voir au-delà du visage dans mon esprit. Entre moi et les lumières brillantes dans le ciel, une paire d’yeux marron chocolat perplexes me fixait, semblant se demander ce que cette décision voulait dire pour elle. Bien sûr, je ne pouvais pas être certain que ce soit vraiment l’information que ses yeux cherchaient. Même dans mon imagination, je ne pouvais pas entendre ses pensées. Les yeux de Bella Swan continuaient de me questionner, et les étoiles continuaient de m’échapper. Avec un lourd soupir, j’abandonnai et me levai. Si je courais, je serais de retour chez Carlisle en moins d’une heure...
    Dans la hâte de revoir ma famille – et vraiment désireux d’être le Edward qui faisait face à tout – je courus à travers le champ de neige étoilé, ne laissant aucune empreinte.

    - Ça va aller, souffla Alice.
    Ses yeux n’étaient pas concentrés, et Jasper avait posé une main légère sous son coude, la guidant tandis que nous marchions groupés dans la petite cafétéria. Rosalie et Emmett ouvraient la voie, Emmett ressemblant ridiculement à un garde du corps en milieu hostile. Rose semblait méfiante aussi, mais  plus irritée que protectrice.
    - Bien sûr que oui, grommelai-je.
    Leur comportement était grotesque. Si je n’avais pas été sûr de pouvoir gérer cette situation, je serais resté à la maison.
    Notre matinée normale, presque joueuse avait soudain était bouleversée – il avait neigé dans la nuit, et Emmett et Jasper étaient assez enfantins pour profiter de ma distraction pour me bombarder de boules de neige ; quand ils en avaient eu assez de mon manque de réaction, ils s'étaient retournés l’un vers l’autre –, transformée en cette vigilance exagérée qui aurait pu être comique si elle n’avait pas été aussi irritante.
    - Elle n’est pas là, mais elle va entrer... Elle ne sera pas dans le courant d’air si nous nous asseyons à notre place habituelle.
    - Bien sûr qu’on va s'asseoir à notre place habituelle. Arrête ça, Alice. Tu commences à m'énerver. Tout va bien se passer.

    Elle cligna des yeux tandis que Jasper l’aidait à s'asseoir, et ses yeux se concentrèrent finalement sur mon visage. 
    - Hmm, dit elle, l’air surprise. Je pense que tu as raison.
    - Bien sûr que j’ai raison,
murmurai-je.
    Je détestais être au centre de toutes les préoccupations. Je me sentis soudainement pris de sympathie pour Jasper, me souvenant de toutes les fois où nous rôdions autour de lui, surprotecteurs. Il rencontra mon regard.
    Énervant, n’est ce pas?
    Je lui fis une grimace.
    Était-ce vraiment la semaine dernière que cette longue pièce terne me semblait ennuyeuse à mourir ? Était ce vraiment comme une nuit de sommeil, un coma de me retrouver ici ?
    Aujourd’hui j’avais les nerfs à vif – des cordes sensibles, tendues au maximum, prêtes à lâcher sous la moindre pression. Mes sens étaient en alerte maximum, je scannais chaque son, chaque soupir, chaque mouvement de l’air qui touchait ma peau, chaque pensée. Spécialement les pensées. Il n’y avait qu’un seul sens que je verrouillais, refusant de l’utiliser. L’odorat, bien sûr. Je ne respirais pas.
    Je m'attendais à entendre plus de choses sur les Cullen dans les pensées qui je passais au crible. Toute la journée j’avais attendu, cherchant une nouvelle connaissance à qui Bella Swan aurait pu se confier, essayant de voir dans quelle direction les potins allaient. Mais il n’y avait rien. Personne n’avait remarqué les cinq vampires de la cafétéria, tout était comme avant, avant que la nouvelle fille n’arrive. Plusieurs humains pensaient toujours à la fille, pensant toujours les mêmes choses que la semaine dernière. Au lieu de trouver cela terriblement ennuyeux, j’étais fasciné à présent.
    N’avait-elle rien dit à personne sur moi ?
    Elle avait forcément remarqué mon regard assassin. Je l’avais vue réagir. Evidemment, je l’avais effrayé. J’étais persuadé qu’elle l’aurait mentionné à quelqu’un, peut-être même exagérant l’histoire pour la rendre meilleure. Me donnant quelques répliques menaçantes.
    Puis, elle m’avait entendu essayer de changer mon heure de biologie. Elle avait dû se demander, après avoir vu mon expression, si elle en était la cause. Une fille normale aurait demandé quelques informations, comparant son expérience avec les autres, cherchant une explication rationnelle à mon comportement pour ne pas se sentir seule. Les humains étaient désespérément en recherche de normalité, pour se sentir intégrés. Pour se mêler aux personnes les entourant, comme un troupeau de moutons conformistes. Ce besoin était particulièrement fort durant l’adolescence. Cette fille ne ferait pas exception à la règle.
    Mais personne n’avait remarqué que nous nous étions assis ici, à notre table habituelle. Bella devait être exceptionnellement timide, pour ne pas se confier à qui que ce soit. Peut-être avait-elle parlé à son père, peut-être avait-elle une relation très forte avec lui... même si cela semblait improbable, étant donné le peu de temps qu’elle avait passé avec lui durant sa vie. Elle devait être plus proche de sa mère. Et pourtant, je devrais aller rendre une petite visite au Chef Swan un de ces jours pour écouter ce qu’il
pensait.      
    - Quelque chose de nouveau ? demanda Jasper.
    - Rien. Elle... n’a rien dû dire.
    Ils levèrent tous un sourcil devant cette nouvelle.
    - Peut-être que tu n’es pas aussi effrayant que tu le penses, dit Emmett, gloussant. Je te parie que je l’aurais plus effrayée que ça.
    Je levai les yeux au ciel.
    - Je me demande pourquoi... ?
    Il était perplexe devant ma révélation sur le silence inhabituelle de cette fille.
    - On en a déjà parlé. Je ne sais pas.
    - Elle arrive,
murmura alors Alice.
    Je sentis me corps se raidir.
    - Essayez d’avoir l’air humains.
    - Humains, tu dis ?
pointa Emmett.
    Il souleva son poing droit, écartant les doigts pour nous laisser voir une boule de neige qu’il avait gardé dans sa paume. Bien sûr, elle n’y avait pas fondu. Il la compacta en un petit bloc de glace bosselé. Il regardait Jasper, mais je vis la direction que prenaient ses pensées. Alice aussi, bien sûr. Quand il lança soudainement le morceau de glace sur elle, elle l’écarta d’un battement de doigt. La glace ricocha à l’autre bout de la cafétéria, trop rapide pour être captée par des yeux humains, et se brisa contre le mur, y laissant une fissure. Le mur se brisa légèrement aussi.
    Toutes les têtes dans ce coin de la pièce se tournèrent pour regarder le tas de glace sur le sol, puis elles pivotèrent pour trouver le coupable. Elles ne regardèrent pas plus loin que les quelques tables aux alentours. Personne ne nous regarda.
    - Très humain, Emmett, dit Rosalie, cinglante. Pourquoi ne frappes-tu pas le mur tant que tu y es ?
    - Ça aurait l’air plus impressionnant si tu le faisais, bébé.

    J’essayai de porter mon attention sur eux, de garder un sourire sur mon visage comme si je faisais partie de leur badinage. Je ne me permettrais pas de regarder vers la queue où je savais qu’elle se tenait. Mais je n’écoutais que ça.
    Je pouvais entre les pensées impatientes de Jessica à propos de la nouvelle fille qui semblait distraite elle aussi, immobile dans la queue. Je vis, dans les pensées de Jessica, que les joues de Bella Swan étaient une fois de plus vivement colorées par le sang.
    Je pris quelques bouffées d’air superficielles, prêt à arrêter de respirer au premier signe de son parfum qui toucherait l’air près de moi.
    Mike Newton était avec les deux filles. J’entendais ses deux voix, mentale et verbale, lorsqu’il demanda à Jessica ce qui n’allait pas avec la fille Swan. Je n’aimais pas la façon dont ses pensées enveloppaient Bella, le tourbillon de fantasmes déjà établis qui embrumaient son esprit pendant qu’il la regardait avancer et sortir de sa rêverie, comme si elle avait oublié qu'il était là. 
    - Rien, entendis-je Bella dire, d’une voix claire, mais faible.
    Elle semblait résonner comme un carillon à travers le babillage la cafétéria, mais je savais que c’était parce que je l’écoutais intensément.
    - Je prendrai juste un soda aujourd’hui, continua-t-elle tandis qu’elle avançait pour rattraper la queue.
    Je ne pus pas m'empêcher de jeter un regard dans sa direction. Elle fixait le sol, le sang se retirant lentement de son visage. Je détournai rapidement le regard, vers Emmett, qui se moquait de mon expression pleine de souffrance.
    T’as l’air malade, frangin.
    Je me repris, pour retrouver une expression décontractée et sereine.
    Jessica se demandait tout haut pourquoi la fille n’avait pas d’appétit.
    - Tu n’as pas faim ?
    - En fait, je me sens un peu mal.

    Sa voix était basse, mais toujours très claire. Pourquoi cela me dérangeait-il, cette préoccupation protectrice qui émana soudain des pensées de Mike Newton ? Pourquoi m’importait-il qui il y ait une pointe de possessivité en lui ? Ce n’étaient pas mes affaires si Mike Newton se sentait inutilement anxieux pour elle. Peut-être était-ce ainsi que tout le monde se sentait envers elle. N’avais-je pas instinctivement voulu la protéger, moi aussi ? Avant de vouloir la tuer, c’était...
    Mais est-ce que la fille était malade ?
    Difficile d’en juger – elle avait l’air si fragile avec sa peau translucide... C'est alors que je réalisai que je m’inquiétais aussi, tout comme cet imbécile de garçon, et je me forçai à ne pas penser à sa santé.
    Malgré tout, je n’aimais pas la surveiller à travers les pensées de Mike Newton. Je changeai vers celles de Jessica, regardant attentivement alors qu’ils se dirigeaient tous trois vers la table la plus proche. Heureusement, ils s’assirent avec les compagnons habituels de Jessica, sur une des premières tables de la pièce. Pas dans la courant d’air, comme Alice l’avait promis.
    Alice me donna un petit coup de coude. Elle va regarder, aie l’air humain.
    Je grinçai des dents derrière ma grimace.
    - Relax Edward, dit Emmett. Honnêtement. Tu tues un humain. C’est pas la fin du monde.
    - Tu en sais quelque chose,
murmurai-je.
    Emmett rit.
    - Il faut que tu t’en remettes. Comme moi. L’éternité est trop longue pour se complaire dans la culpabilité.
    À ce moment-là, Alice lança une petite poignée de glace, qu’elle avait cachée dans sa main, droit dans le visage d’Emmett.
    Il cligna des yeux, surpris, et grimaça.
    - Tu l’auras cherché, dit il, s'avançant sur la table pour s’ébouriffer dans sa direction.
    La neige, fondant avec la chaleur de la pièce, s’envola de ses cheveux en une bouillie mi-liquide mi-glacée.
    - Hé ! se plaignit Rosalie, tandis qu'Alice et elle reculaient devant le déluge.
    Alice rit, et nous la suivîmes. Je voyais dans sa tête qu’elle avait orchestré ce moment parfait, et je savais que la fille – je devais arrêter de penser à elle comme ça, comme si elle était la seule fille au monde – que Bella nous regarderait riant et jouant, semblant heureux et humains, presque irréels et idéaux, comme dans une peinture de Norman Rockwell.
    Alice continua de rire, et prit son plateau comme bouclier. La fille – Bella devait toujours nous regarder.
    ... elle regarde encore les Cullen, pensa quelqu’un, captant mon attention.
    Je regardai automatiquement vers cet appel non intentionnel, réalisant quand mes yeux atteignirent la destination que je reconnaissais cette voix – je l’avais trop écoutée aujourd’hui.
    Mais mes yeux dépassèrent Jessica et se portèrent sur le regard pénétrant de la fille.
    Elle baissa les yeux rapidement, se cachant derrière ses cheveux.
    A quoi pensait-elle ? La frustration semblait de plus en plus forte au fur et à mesure que le temps passait, au lieu de se ramollir. J’essayai – incertain de ce que j’étais en train de faire car je n’avais jamais essayé avant – de sonder le silence qui l’entourait. Mon ouïe supplémentaire m’était toujours venue naturellement, sans avoir à me forcer ; je n’avais jamais dû m’exercer. Mais je me concentrais à présent, essayant de briser ce bouclier qui l’entourait.
    Rien, que du silence.
    Qu’est-ce qui ne va pas chez elle ? pensa Jessica, faisant écho à ma propre frustration.
    - Edward Cullen te mate, murmura-t-elle à l’oreille de la fille Swan, avec un petit gloussement.
    Il n’y avait pas une pointe de son irritation jalouse dans son ton. Jessica semblait très douée pour feindre l’amitié.
    Trop absorbé, j’écoutai moi aussi la réponse de la fille.
    - Il n’a pas l’air énervé, n’est ce pas ? murmura-t-elle en retour.
    Donc, elle avait bien remarqué ma réaction violente de la semaine dernière. Bien sûr qu’elle l’avait remarquée.
    La question perturba Jessica. Je vis mon propre visage dans ses pensées tandis qu’elle vérifiait mon expression, mais je ne rencontrai pas son regard. Je me concentrais toujours sur la fille, essayant d’entendre quelque chose. Ma concentration intense ne semblait pas du tout m’aider.
    - Non, lui dit Jess, et je sus qu’elle aurait aimé dire oui – comme si le fait que je regarde Bella lui restait en travers – même si sa voix ne laissait rien paraître. Il devrait l’être ?
    - Je ne pense pas qu’il m’aime beaucoup, chuchota la fille en retour, posant sa tête sur son bras comme si elle était soudain fatiguée.
    J’essayai de comprendre son mouvement, mais je pouvais seulement émettre des hypothèses. Peut-être était-elle fatiguée.
    - Les Cullen n’aiment personne, la rassura Jess. En fait, ils ne remarquent personne d’autre qu’eux-mêmes. Ou plutôt ils ne le faisaient jamais.
    Ses pensées étaient désormais une complainte.
    - Mais il te regarde toujours.
    - Arrête de le regarder,
dit anxieusement la fille, soulevant sa tête de son bras pour être sûre que Jessica obéissait à cet ordre.
    Jessica gloussa, mais fit ce qu’on lui dit.
    La fille ne regarda pas en dehors de sa table durant tout le reste de l’heure. Je pensai – pensai bien sûr, je ne pouvais pas être certain – que c’était délibéré. Il semblait qu’elle voulait me regarder. Son corps se tournait légèrement dans ma direction, son menton commençait à se tourner, puis elle se ressaisissait, prenait une grande inspiration, et fixait la personne qui parlait, qui que ce soit.
    J’ignorai les autres pensées autour de la fille, pour la plupart, car momentanément, elles ne la concernaient pas. Mike Newton prévoyait une bataille de neige dans le parking après les cours, il ne semblait pas réaliser que la neige s’était déjà transformée en pluie. Le battement des doux flocons contre le toit s’était transformé en la plus commune des averses. Ne pouvait-il réellement pas entendre ce changement ? Cela me semblait bruyant.
    Quand l’heure du déjeuner fut terminée, je restai à ma place. Les humains sortaient, et je me surpris à essayer de distinguer le bruit de ses pas parmi ceux des autres élèves, comme s'il y avait quelque chose d’important et d’inhabituel chez eux. Comme c’était stupide.
    Ma famille ne fit aucun mouvement pour partir non plus. Ils attendaient de voir ce que j’allais faire.
    Irais-je en classe, m'asseoir à côté de la fille, là où je pourrais sentir la puissance absurde du parfum de son sang, et sentir la chaleur de son pouls contre ma peau ? Étais-je assez fort pour ça ? Ou en avais-je eu assez pour un seul jour ?
    - Je... pense que ça va aller, dit Alice, hésitante. Tu es décidé. Je pense que tu vas arriver au bout de cette heure.
    Mais Alice savait bien à quelle vitesse un esprit pouvait changer.
    - Pourquoi tenter le diable, Edward ? demanda Jasper.
    Même si il ne voulait pas se sentir suffisant du fait que je sois pour une fois celui qui était faible, je pouvais l’entendre l’être, juste un tout petit peu.
    - Rentre à la maison. Vas-y doucement.
    - C’est quoi le problème ?
dit Emmett, pas d’accord. Soit il la tue, soit il ne la tue pas. Autant en finir maintenant, quoi qu’il se passe.
    - Je ne veux pas déménager aussi tôt, se plaignit Rosalie. Je ne veux pas tout recommencer. On a presque fini le lycée, Emmett. Enfin.
    J’étais tout aussi divisé sur cette décision. Je voulais, vraiment, avoir cette confrontation plutôt que de la fuir. Mais je ne voulais pas aller trop loin non plus. Cela avait été une erreur la semaine dernière que Jasper tienne si longtemps sans aller chasser ; étais-je en train de commettre une erreur aussi bête ?
    Je ne voulais pas déraciner ma famille. Aucun d’entre eux ne m’en serait reconnaissant.
    Mais je voulais aller en biologie. Je réalisai que je voulais revoir son visage.
    C’est cela qui me décida. La curiosité. J’étais en colère après moi pour ressentir cela. Ne m’étais-je pas promis que je ne laisserais pas le silence de l’esprit de cette fille me rendre excessivement intéressé par elle ? Et pourtant, j’étais la, excessivement intéressé. 
    Je voulais savoir ce qu’elle pensait. Son esprit était fermé, mais ses yeux étaient ouverts. Peut-être pourrais-je les lire à la place.
    - Non, Rose. Je pense vraiment que ça va bien se passer, dit Alice. Ça... s’affirme. Je suis sûre à 90% que rien de mauvais ne va arriver s'il va en classe.
    Elle me regarda avec curiosité, se demandant ce qui avait changé dans mes pensées pour que ses visions du futur soient à ce point sans risque.
    La curiosité suffirait-elle à garder Bella Swan en vie ?
    Toutefois, Emmett avait raison – pourquoi ne pas en finir, quoi qu’il arrive ? Je ferais face à la tentation durant cette confrontation.
    - Allez en classe, ordonnai-je, m'éloignant de la table.
    Je me retournai et m’éloignai d’eux à grands pas sans regarder derrière moi. Je pouvais entendre l’inquiétude d’Alice, le mécontentement de Jasper, l’approbation d’Emmett et l'irritation de Rosalie me poursuivre.
    Je pris une dernière bouffée d’air près de la porte de la classe, et je la retins dans mes poumons tandis que je marchais dans la petite pièce chaude.
    Je n'étais pas en retard. Mr. Banner préparait toujours l'expérience d’aujourd’hui. La fille était assise à ma – à notre – table, le visage baissé, fixant la chemise cartonnée sur laquelle elle gribouillait. J’examinai son croquis en m’approchant, intéressé même par cette création triviale de son esprit, mais ça n’avait pas de sens. Un simple barbouillage de cercles dans d’autres cercles. Peut-être ne se concentrait-elle pas sur les formes, mais pensait-elle à autre chose ?
    Je tirai ma chaise en arrière avec plus de force que nécessaire, la faisant racler sur le sol ; les humains se sentent mieux lorsqu’un bruit de la sorte annonce l’arrivée de quelqu’un.
    Je sus qu’elle avait entendu le son ; elle ne leva pas les yeux, mais sa main rata un cercle dans son dessin, le rendant irrégulier.
    Pourquoi ne leva-t-elle pas les yeux ? Elle était probablement effrayée. Je devais m’assurer de lui faire une autre impression cette fois-ci. Lui faire croire qu’elle s’était fait des idées.
    - Bonjour, dis-je d’une voix douce, celle que j’utilisais pour mettre les humains à l’aise, et affichant un sourire poli, sans toutefois montrer mes dents.
 
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